D’un mouvement à l’autre : des luttes contestataires de justice environnementale aux pratiques alternatives de justice alimentaire ?

Ces questionnements s’inscrivent dans les réflexions sur la justice sociale et spatiale. D’une part, il s’agit de se demander si les desseins des militants de la justice environnementale et de la justice alimentaire rendent compte d’une conception identique de la justice. On peut entendre la notion de justice sociale selon au moins deux acceptions théoriques : celle d’une justice sociale distributive traduite dans les travaux sur la justice spatiale d’Edward Soja comme la « distribution équitable et juste dans l’espace des ressources socialement valorisées et des possibilités de les exploiter » et celle d’une justice sociale inclusive, qui cherche à corriger les injustices socialement situées dans des différences de genre, de race, de culture etc. pour établir un cadre permettant la participation pleine et effective des groupes opprimés.

Partant du caractère polysémique de la notion de « justice », la question se pose de savoir comment, sur le terrain, les discours des militants des deux mouvements se rapportent à une justice dite « environnementale » et à une autre dite « alimentaire ». D’autre part, il s’agit d’analyser les processus par lesquels les militants mettent en œuvre et en espace leur conception de ces justices, environnementale ou alimentaire. Au-delà d’un souci partagé de la justice sociale, d’une action sur des territoires similaires, les formes et les catalyseurs d’action collective sont-ils semblables ? Y’a-t-il filiation, parallèle ou hybridation entre les deux mouvements, ou au contraire, dissociation malgré un héritage commun ?

L’agriculture de proximité à Lima, vers un système productif plus juste pour les producteurs et les consommateurs ?

L’objet de cet article est d’analyser les liens entre les espaces productifs de la ville et les consommateurs, au prisme de la justice alimentaire. La première partie présente l’agriculture Liménienne et les difficultés rencontrées pour assurer sa légitimité dans la métropole péruvienne, malgré une situation privilégiée. Dans une deuxième partie, seront étudiés au contraire les espaces productifs ayant su tirer profit de la demande urbaine, en insistant sur le dynamisme de certains producteurs et sur leur capacité d’adaptation. La troisième partie évoquera l’organisation spatiale de la ville en rapport avec le système alimentaire local, les espaces productifs émergents et délaissés.

La connexion entre la sécurité alimentaire, la souveraineté alimentaire et la justice alimentaire dans les écosystèmes boréals : le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon

Nous présentons une étude de cas de l’archipel Saint-Pierre-et-Miquelon (France) pour souligner le lien entre la souveraineté alimentaire, la sécurité alimentaire et la justice alimentaire sous les climats froids.

Nos analyses juridiques, qualitatives et biologiques soutiennent l’hypothèse que les Saint-Pierrais ont perdu leur souveraineté sur les ressources naturelles locales et accessibles du fait de la décision de la Cour internationale d’Arbitrage (ICC) datant de 1992. Bien que cette décision ait été prise afin de réduire la surpêche, il y a sans doute eu une augmentation de l’insécurité alimentaire des habitants de St-Pierre-et-Miquelon une fois que les ressources ont été attribuées au Canada. Nous pensons que le prisme de la justice alimentaire pourrait fournir les bases pour rétablir la souveraineté de Saint-Pierre-et-Miquelon vis à vis de ces ressources.

En résumé, les conditions climatiques et l’isolement géographique entre Saint-Pierre-et-Miquelon et la France continentale illustrent la relation complexe entre la sécurité alimentaire, la souveraineté alimentaire et la justice alimentaire sous les climats froids. Malgré ces défis, il est possible d’apprendre de l’expérience et de mettre en oeuvre des solutions qui amélioreront la souveraineté alimentaire, la sécurité alimentaire et finalement, la justice alimentaire à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cet article nous offre l’occasion de souligner le fait que le climat et l’existence de l’insécurité alimentaire au sein des nations riches devraient être pris en compte dans la conceptualisation de la souveraineté alimentaire et de la justice alimentaire, et que les habitants devraient avoir le droit de définir une alimentation qui soit culturellement appropriée.

La justice alimentaire comme réponse à la faim dans les paysages alimentaires canadiens

Dans cet article, nous mettons d’abord en perspective le processus d’invisibilisation de la question de l’inégalité de l’accès à une alimentation de qualité, dans un contexte où la démarche de sécurité alimentaire se trouve de plus en plus dépolitisée.

Nous soutenons ensuite que si le « mouvement alimentaire alternatif » s’est développé en réponse à l’augmentation des taux d’insécurité alimentaire, son incapacité à se détacher de cette démarche inefficace et à négocier un programme plus axé sur la justice sociale contribue à invisibiliser les inégalités alimentaires, tout en en produisant de nouvelles. À partir du cas canadien, nous montrons que l’alimentation est un moyen politique qui permet de faire apparaitre les questions de justice sociale et de démocratie alimentaire dans nos paysages alimentaires (foodscapes).

Pour ce faire, nous examinons la façon dont un projet de glanage agricole étroitement lié à un Conseil de politique alimentaire (Food Policy Council) dans la vallée de l’Okanagan, en Colombie-Britannique, s’est engagé dans une praxis de justice alimentaire qui vise à faire sortir de l’ombre les problèmes de pauvreté et d’inégalité alimentaires, se faisant ainsi le précurseur d’une démocratie alimentaire équitable et d’une transformation politique plus large.

Solidarité, espace et « race » : vers des géographies de la justice alimentaire

En s’appuyant sur les critiques adressées au food movement et sur nos propres recherches, nous identifions quatre nœuds interdépendants – le traumatisme/l’équité, l’échange, la terre et le travail – qui constituent autant de points d’entrée pour penser les réseaux de mobilisation en faveur de la justice alimentaire. En d’autres termes, ils correspondent à des champs où d’importants changements sont en cours ou doivent s’opérer selon des modalités proposées ci-dessous.

Cet article s’intéresse au nœud « traumatisme et équité ». Ce numéro thématique invitant à explorer les liens entre l’agriculture et la justice alimentaire, notre article avance l’hypothèse que le racisme systémique contribue, entre autres processus, à façonner les paysages agricoles ruraux et urbains ; et dès lors, que les projets privilégiés par le food movement ne sont pas en mesure d’œuvrer en faveur de la justice alimentaire s’ils n’utilisent pas cette grille d’analyse

Justice alimentaire et agriculture

A la croisée des discours sur le droit à l’alimentation, sur les objectifs de durabilité appliqués aux systèmes alimentaires, et sur les risques d’insécurité alimentaire dans des situations de pauvreté et de précarité, le food justice movement cherche à assurer « un partage équitable des bénéfices et des risques concernant les lieux, les produits et la façon dont la nourriture est produite et transformée, transportée et distribuée, et accessible et mangée».

Cependant, la problématisation des relations (ou non relations) entre alimentation, agriculture et justice est incomplète. Côté francophone, la majorité des études sur l’agriculture, notamment périurbaine, en oublient l’aspect social et utilisent peu le cadre conceptuel de la justice. Côté anglophone, la focale est placée sur la consommation des populations marginalisées : les liens avec l’agriculture, même urbaine, comme activité économique productive, sont encore peu abordés, malgré quelques rares évolutions récentes. Au final, le rôle de l’agriculture dans la réduction des inégalités n’a pas encore été décrypté.

Dès lors, l’ambition de ce numéro est double : proposer d’approfondir la notion de justice alimentaire en plaçant les relations avec l’agriculture au cœur de sa définition ; et réfléchir aux processus, notamment liés à l’agriculture, qui conduisent à une situation de justice alimentaire. Est-ce du fait de ses liens avec l’agriculture, et de la place éventuellement particulière qu’elle lui accorde, que la justice alimentaire diffère d’autres efforts pour mettre en œuvre un système alimentaire plus équitable ?